LAIT : NOTRE ENQUÊTE SUR LE PRIX MOYEN EN 2012
Avec la fin des recommandations interprofessionnelles, les laiteries ont repris la main sur le prix du lait. Notre enquête révèle des écarts importants entre les régions.
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N'EN DOUTONS PAS : SI LES LAITERIES SAVENT PRÉCISÉMENT SE SITUER ENTRE ELLES en matière de prix du lait, les producteurs ont, de leur côté, du chemin à parcourir. Et vite, puisqu'ils se retrouvent désormais face à leur seul collecteur pour parler du prix du lait. Certains, livrant à des groupes privés, discutent individuellement ou regroupés en OP (organisations de producteurs) pour en négocier les modalités. D'autres, adhérents de coopératives, les valideront avec les élus qui les représentent au sein de l'entreprise. L'objectif que s'est donné récemment la FNPL d'établir un référentiel du prix du lait par entreprise répond à cet enjeu éminemment stratégique. Nous avons, de notre côté et avec nos moyens, tenté d'apporter des réponses à cette question : quelle entreprise a le mieux payé en 2012 ? Nous avons enquêté auprès de producteurs des laiteries les plus importantes dans les principaux bassins de production. Notre approche va bien au-delà de celle du prix de base à 38/32, qui n'est qu'une des composantes du prix final et qui n'a de sens qu'à l'intérieur d'un bassin. Mais aucun sens au mois le mois à l'échelle nationale, puisque ces prix intègrent des grilles de saisonnalité propres à chaque Criel. Ne parlons pas du prix unitaire en bas de chaque feuille de paye. Il y en a autant que de producteurs.
Notre évaluation du prix du lait standard repose sur une simulation d'un cas type : celui d'une exploitation ayant livré en 2012 (et en 2011) sa référence de 400 000 l, avec la même saisonnalité et les mêmes TP et TB que la ferme France (données France- AgriMer). On intègre ainsi les effets du volume et des taux mensuels, mais hors rallonge de quotas accordée pour 2011-2012. Deux hypothèses de qualité (germes, cellules, butyriques) ont été ensuite simulées : du lait « super A » ou de qualité « moyenne ».
Du premier découle le prix maximum payé mais qu'un nombre restreint de producteurs perçoit dans les faits. La seconde situation est plus proche de la réalité moyenne d'un élevage (germes sous contrôle, flambée de cellules deux mois de l'année et avec deux mois très bons, butyriques assez bien maîtrisés mais rarement sous les 800 spores). Cette simulation est faite hors primes de froid.
RISTOURNES DES COOPÉRATIVES ET PRIMES MAISON INTÉGRÉES
Au-delà des grilles de qualité interprofessionnelles régionales (hors primes de froid), notre calcul intègre ce qui fait la différence : les primes « maison ». À savoir, ici la « prime saisonnalité ou régularité », là le « bonus multicritères » ou la « prime contrôle laitier » quand elle n'est pas dans l'accord du Criel. Ces bonus sont souvent issus de l'histoire des entreprises. Ils peuvent donc varier de manière assez importante entre les régions au sein d'une même laiterie, mais aussi à 'intérieur d'une région. On le voit bien chez Lactalis, par exemple. Pour les coopératives, notre calcul inclut les compléments de prix ou ristournes versées en 2012 au titre de 2011.
Nous présentons aussi des coopératives et l'entreprise Danone qui appliquent un double prix. Pour Sodiaal, le volume classé en A est de 8 % par mois de janvier à mars (96 % de A en 2011-2012) et de 7,66 % d'avril à décembre (92 % de A en 2012-2013). L'estimation ne prend pas en compte la prime Asap de bonne prédiction des livraisons (jusqu'à 5 €/1 000 l). Pour Laïta, le volume A correspond à la référence notifiée par FranceAgriMer au 31 mars 2011. Les références acquises depuis (1 % européen, allocations provisoires…) constituent le volume B, livré en fin de campagne, une fois que le volume A est atteint. Eurial n'a pas appliqué de prix et volumes différenciés en 2012. Pour Danone, la quantité au-delà d'un volume équivalent à un pourcentage des livraisons annuelles, fixé pour chaque mois, est classée en B.
De cette approche comparative, on retiendra d'abord l'importance des écarts entre les régions. Les éleveurs de Bretagne et Pays de la Loire figurent nettement en queue de peloton, notamment en raison de l'absence de primes d'entreprises. Avec, en outre, des coûts de collecte inférieurs à la moyenne du fait de la densité des élevages, les laiteries de ces régions bénéficient donc d'un avantage compétitif non négligeable. On remarque aussi en Bretagne et Pays de la Loire un différentiel de prix extrêmement réduit entre laiteries, alors que certaines appliquent des prix B et d'autres pas. Seul Bongrain sort un peu du lot. Ceci s'explique par une flexibilité additionnelle plus faible que les autres (une tranche contre quatre ou cinq).
Les groupes privés se placent souvent devant les coopératives. Sodiaal se retrouve partout en bas de tableau. Mais Lactalis est rarement loin devant. Danone et Bongrain font souvent mieux et Bel manque à notre panel. Soulignons que dans le grand Ouest, les coopératives Laïta et Eurial devancent Lactalis d'un cheveu.
LES ÉCARTS ENTRE LES ENTRPRISES VONT S'AMPLIFIER
À l'avenir, on peut supposer que les écarts de prix à l'intérieur d'une entreprise tendront à se réduire. Il semblerait logique qu'une entreprise comme Lactalis cherche à harmoniser les règles de prix pratiquées dans ses différents bassins de collecte. Mais dans le même temps, certaines laiteries proposent des engagements particuliers, mais volontaires, donnant lieu au versement d'une prime. C'est le cas de l'Asap chez Sodiaal, par exemple : les éleveurs capables d'annoncer des prévisions de livraisons fiables sont favorisés. De son côté, Laïta propose à ses adhérents qui le souhaitent, un encouragement à analyser le profil en acides gras du lait (aide Profilia de 0,50 €/1 000 l). Des exemples parmi d'autres, qui vont probablement se multiplier au gré des besoins des entreprises et accroître encore les écarts entre les livreurs.
Mais surtout, le changement profond du contexte laitier et la disparition du rôle traditionnellement central de l'interprofession vont provoquer une amplification de ces écarts de prix entre les entreprises. En effet, une page se tourne pour les modalités de fixation du prix du lait. Fini, les sorties de crises d'hier négociées au Cniel.
Terminé, depuis le printemps, l'époque où les Criel validaient et publiaient une recommandation de prix de base. De plus en plus, dans les régions, l'écriture de la grille de saisonnalité s'effectue au niveau des entreprises et non plus du Criel. La reconnaissance par le paquet lait de l'interprofession laitière aura une contrepartie de poids. Le Cniel et les Criel seront désormais sous le contrôle de Bruxelles. Ils devront donc se plier aux règles européennes de la concurrence qui traquent tout ce qui ressemble de près ou de loin à des accords sur les prix entre les acteurs d'une filière. C'est tout l'objet du travail délicat mené par le Cniel depuis bientôt un an. Dès qu'il sera reconnu par l'administration européenne (quand Paris en aura fait la demande officielle), elle pourra lui notifier ses actions. Quel rôle jouera donc demain le Cniel en matière de prix du lait ? Il devrait continuer de publier des indicateurs économiques reflétant les évolutions du marché puisque cette disposition est prévue dans le paquet lait. À ceux déjà existants (valorisation des PGC à l'export et des produits industriels, écarts de compétitivité avec l'Allemagne…) pourraient s'en ajouter d'autres, sous réserve d'être partagés par les différentes familles professionnelles. On peut penser aux coûts de production ou à un indicateur pour les produits frais, les fromages ingrédients, etc.
Sans doute y aura-t-il aussi des indicateurs de volumes que chaque entreprise pourra choisir d'utiliser ou non.
LES VOLUMES PARTICIPENT À LA RECETTE LAITIÈRE
La recette laitière étant constituée à la fois du prix et du volume, ces indicateurs constitueront un nouvel élément de négociation entre les organisations de producteurs et les industriels privés dans le cadre de leurs relations contractuelles. Et pour les coopératives, un nouveau critère de justification du prix B pratiqué auprès de leurs adhérents. De la même façon, le mécanisme actuel de lissage du prix français sera d'ordre contractuel. Il pourrait donc disparaître pour ceux qui le décideront.
Pas sûr non plus que la valorisation, harmonisée par région, des grammes différentiels de TP et TB subsiste. Les acteurs pourront la fixer librement, et non plus en Criel. En effet, s'accorder sur une valeur commune des grammes de protéines ou de matière grasse, c'est, aux yeux de la DG de la concurrence, donner une valeur au prix. Difficile dans ces conditions qu'elle donne son aval. En revanche, discuter de grilles sanitaires communes (germes, cellules, butyriques, inhibiteurs) pourrait perdurer : pour les transformateurs, elles sont une garantie en matière de sécurité alimentaire, et elles facilitent les accords d'échange de collecte.
L'obligation de se conformer aux règles de la concurrence européenne n'est pas la seule raison de la révolution qui s'annonce. Les entreprises, coopératives en première ligne, se réjouissent de voir s'assouplir le « carcan » interprofessionnel. Le principe d'un prix moyen, représentatif d'une entreprise avec un mix-produits moyen, avait aussi un effet pervers : favoriser ceux qui avaient un mix-produits favorable (Bongrain, par exemple) et pénaliser les autres (Sodiaal). Certes, la mise en place de la flexibilité additionnelle a permis une certaine prise en compte des valorisations réelles des entreprises. Celles qui avaient un mix-produits très orienté sur les produits industriels pouvaient réduire leur prix de base, tout en restant dans l'accord interprofessionnel. Ce système avait le mérite d'exister, même si les coopératives reprochaient au Cniel de surestimer le niveau de valorisation du beurre et de la poudre. Cette mécanique a vécu. La crise récente du lait de consommation a bien montré la nécessité d'une prise en compte plus directe des conditions de marché de chaque famille de produits dans l'élaboration du prix. Soulignons néanmoins que cette analyse du prix du lait par entreprise reste partielle. Le revenu des producteurs est certes lié au prix du lait. Mais les volumes pèsent aussi dans l'élaboration de la recette laitière. Or, entre les livreurs de Lactalis qui se contentent d'allocations provisoires minimes, et ceux d'Eurial qui peuvent livrer 10 % de plus que leur référence, l'écart est loin d'être négligeable. Ceci fera l'objet d'une seconde enquête en fin de campagne.
UNE ENQUÊTE DE LA RÉDACTION
© SÉBASTIEN CHAMPION
© SÉBASTIEN CHAMPION
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